Journal de bord d’entre deux tours d’un militant insoumis — première semaine

Clément Pairot
9 min readApr 28, 2017

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Militant la France Insoumise j’ai notamment fait partie, les deux dernières semaines avant le premier tour, d’une des 8 caravanes qui ont silloné la France pour mobiliser dans les quartiers populaires. L’ annonce du second tour Macron-Le Pen m’a assommé. Durant 5 jours je n’ai parlé politique avec presque personne. J’ai pris le temps de laisser décanter les sentiments, voir les choses se clarifier. Je vous livre ici, sans prétention mais avec les sentiments bruts, mon journal de bord de la semaine et l’évolution de mes états d’âmes.

Lundi — Pris au piège de son calcul cynique

Réveil difficile. Je parcours les sites d’infos. C’est comme si la stratégie de Macron et de son entourage (Hollande en tête) s’était réduite à reproduire un 21 avril et croire que cela suffirait. On aimerait se moquer de Macron si l’enjeu n’était pas si important. Le front républicain n’est PAS une stratégie. Or, c’est comme si Macron n’avait pas pu envisager l’idée qu’on ne s’aligne pas mécaniquement. D’ailleurs, il n’y était tellement pas préparé que tout le monde est d’accord cette semaine pour dire que son début de campagne de deuxième tour est pourri. Le PS s’inquiète pour “son candidat”, lapsus de Ségolène Royal.

Au-delà de l’étrange appel à Brigitte et les airs de célébration, ce qui était choquant dimanche chez Macron c’était l’absence de mots pour les gens qui souffrent. Pas un mot pour les gens qui votent FN dimanche. Pas un mot pour ceux qui votent France Insoumise, comme s’il n’avait pas saisi l’urgence de notre message.

Ce matin, je pense aux 9 millions de personnes qui n’ont pas les moyens d’une vie digne dans ce pays qui possède le record d’Europe du nombre de millionnaires. Je pense à ces gens que j’ai rencontrés en toquant à leurs portes depuis deux semaines dans l’Est de la France. Ces personnes rencontrées par dizaines qui m’ont raconté qu’il leur était impossible de se payer des soins corrects. Ces mères tombées dans la précarité car leur enfant est handicapé et que le système d’aides est absurde et insuffisant. Ces habitants si nombreux qui n’ont pas de sommier et presque rien d’autre qu’une table et deux chaises dans leur appartement car l’argent manque. Ces gens-là sont les grands oubliés du vote d’hier. Car ni Macron avec son extrême-marché, ni Le Pen avec son obscurantisme ne leur offrent de perspectives.

Je suis atterré par mes amis qui partagent la photo qui rassemble les faibles score du vote FN à Paris, en en étant fiers, “Paris je t’aime”. Arrêtons le mépris du vote FN. On peut être soulagé qu’une certaine aisance économique et une forte mixité sociale, comme c’est le cas à Paris, soient des bons remparts au FN. Mais cette fierté c’est du mépris pour tous ceux qui souffrent. Si vous pensez que les gens qui votent FN ne sont que des gens racistes qui ne peuvent pas voir un arabe en peinture, vous vous mettez le doigt dans l’oeil. Le vote FN est un vote de désespoir pour beaucoup.

Lundi, je suis sonné, incapable de réfléchir à ce que je vais voter. Je me dis que le système de vote doit être modernisé et passer au vote à jugement majoritaire.

Mardi — 2002 n’est pas 2017

Mardi, je me suis décidé à comprendre pourquoi je trouvais ces appels au front républicain grotesques.

On voudrait nous obliger à nous aligner sur Macron sous prétexte d’un «front républicain », en prétendant que notre retenue serait un soutien au fascisme et que l’on minauderait quand nos ainés avaient fait bloc derrière Chirac. Sauf que, ça ne marche pas, car 2002 et 2017 n’ont rien à voir.

En 2002, l’abstention est forte. en 2017, elle est relativement faible. A l’époque, les medias sont en partie responsables de l’abstention (Libération titrait la veille « allez-y quand même » ), 15 ans plus tard, insistant sur le fait que tout se jouerait dans un mouchoir de poche, ils auront contribué à en écarter le spectre.

En 2002, l’arrivée de Le Pen au second tour est une surprise mais l’on n’est pas encore dans la banalisation. Jean-Marie Le Pen intervient à l’époque très peu dans les medias et, d’ailleurs, Chirac pourra refuser le débat d’entre deux tours sans que personne ou presque ne s’en offusque. En 2017, c’est attendu et les médias sont responsables en ayant totalement ouvert leurs antennes au Front National, Florian Philippot en tête, bien plus qu’à d’autres formations politiques...

En 2002, le FN fait peur, en 2017 ce n’est plus le cas. En 15 ans, son discours de rejet s’est généralisé. Le débat sur l’identité nationale de Sarkozy, les discours de Valls sur les Roms, Hollande et sa déchéance de nationalité sont passés par là. Déchéance bien peu critiquée à l’époque par Macron (même s’il affirme le contraire il ne s’est prononcé que très tardivement).

En 2002, Chirac est président sortant, certes, mais la politique menée par le gouvernement depuis 5 ans est de gauche. Elle a certainement eu ses défauts mais elle n’a pas occasionné les manifestations de la Loi Travail, et Jospin n’a jamais utilisé le 49.3. La défiance du peuple contre son gouvernement est bien moins prononcée.

Mardi, j’ai la nausée à l’idée d’entrer dans le jeu de ces pompiers pyromanes.

Mercredi — La tentation révolutionnaire

Sur une boucle de potes, on m’apostrophe: « Les insoumis, vous attendez quoi pour appeler au vote Macron? Mauvais perdants. »

Soyons sérieux. La seule force politique qui lutte efficacement contre le FN dans ce pays, c’est la France Insoumise. Durant cette campagne (et aussi en 2012 avec le Front de Gauche), quand la France Insoumise monte, le FN baisse…sans qu’on prenne ses idées évidemment. On a souvent critiqué le fait qu’on récupérait des électeurs tentés par le Front National, mais c’est oublier que c’est par la raison qu’on les amène à voter pour notre candidat. A titre personnel, dans mes porte à porte, j’ai eu l’occasion de débattre avec des gens qui me parlaient du problème de l’immigration et étaient tentés par Le Pen. Je ne saurai jamais si je les ai convaincu de voter pour Mélenchon le jour du vote mais j’ai eu le sentiment de faire chanceler leur rejet en mettant en perspective les enjeux, en démontrant que le problème ce n’était pas l’immigré, et que la solution que proposait mon candidat pouvait les convaincre.

Dans cette logique, un appel de Mélenchon dimanche soir n’aurait jamais été suivi. Il ne possède aucune des 7 millions de voix qui l’ont soutenu, à part la sienne. S’il veut amener tous ses électeurs, dans leur diversité, à faire barrage au Front National, il doit le faire avec pédagogie. Pas par injonction. Pour ceux pour qui il est envisageable de voter Macron, il leur laisse faire leur chemin, pour ceux pour qui c’est absolument impossible, il leur rappelle que le vote Le Pen n’est pas une option car elle est un danger mortel pour la République.

Notre campagne était fondée sur la réponse à trois urgences : l’urgence écologique, l’urgence sociale et l’urgence démocratique. Après avoir fait campagne pendant des mois — pour certains plus d’un an — sur ces sujets, plusieurs insoumis ne sont pas encore prêts à voter pour Macron. Cela ne tient ni à un réflexe de mauvais perdant, ni à une prétention de petit-bourgeois. Cela tient au concept d’urgence. Ces trois sujets sont des urgences car s’ils ne sont pas résolus par une réponse immédiate et d’ampleur alors ce sera le chaos. Si le dérèglement climatique s’emballe ce sera le chaos. Si les gens ont faim et ne peuvent pas se soigner ce sera le chaos. Si on continue à gouverner dans le mépris du peuple, ce sera le chaos.

On nous répondra que tous ces sujets sont abordés par le programme d’Emmanuel Macron. Sauf qu’à l’urgence de la réponse s’ajoute son degré. Il y a, notamment pour l’environnement, un seuil d’action en dessous duquel il est aussi inutile d’agir que de ne rien faire. Et ce seuil, vous me voyez venir, c’est le 100% d’énergie renouvelable en 2050. Ce n’est pas une lubie, ce sont les études des climatologues qui l’expliquent : si l’on veut rester sous le seuil fatidique des 2°C de réchauffement au-delà duquel le dérèglement climatique s’emballe, il est indispensable d’être neutre en carbone au niveau mondial en 2050…et comme la France est un des pays les plus riches et les plus polluant, il est normal qu’elle soit 100% renouvelable en plus d’être neutre en carbone.

A cause de l’urgence environnementale, savoir si on soutient le système ou pas est une question qui se pose. Espérer son blocage total est à ce moment-là une tentation.

“Alors vous prenez le risque de Le Pen Présidente ?” Non. Le scenario que j’imagine à mercredi est différent. Si Le Pen est élue, ce sera à cause d’un vote blanc important et d’une abstention élevée qui lui ôteront sa légitimité. Par ailleurs, dans un mouvement de rejet du fascisme, on peut espérer que le peuple français sortirait dans la rue, bloquerait le pays, débouchant sur une situation insurrectionnelle. L’armée assurerait la paix civile voire une gérance temporaire. Pour sortir de la crise, on organiserait la tenue de nouvelles élections en vote à jugement majoritaire avec vote blanc reconnu. Pari risqué ? Pari nécessaire ? La stratégie insurrectionnelle est évidemment difficile à comprendre pour des gens averses au risque comme c’est le cas pour certains électeurs de Macron.

Mercredi je suis tenté par l’abstention. Cela signifierait mon refus de ce mode de scrutin qui arrive toujours à des arbitrages déprimant, et permettrait de déclencher une révolution.

Jeudi — La stratégie du martèlement ne marche pas

Ca fait 4 jours qu’on nous martèle le front républicain et manifestement la sauce ne prend pas. On peut penser qu’il est injuste que cette stratégie ne marche pas. Mais, à mes amis de chez Macron qui chérissent tant l’entreprise, vous le savez bien : quand une stratégie marketing ne marche pas, même si c’est en théorie la meilleure, il faut la changer.

Vous vous enfermez dans la même stratégie que Clinton qui, une fois la campagne de la primaire terminée, s’est enfermée dans un seul message : “attention à Trump!”, sauf qu’on ne peut plus mobiliser comme cela, ça ne marche pas. (Epargnez-vous dans les commentaires le fait qu’elle avait plus de voix : elle a perdu alors que tous les médias étaient pour elle, c’est donc qu’elle a fait une mauvaise campagne). Ne faites pas la même erreur qu’Hillary.

Vous finissez par me rendre dingue avec vos posts sur le vote Macron. J’ai juste envie de vous dire : les gars, les filles, la France insoumise jusqu’au vendredi après-midi on était en porte à porte pour convaincre les gens que notre projet était le meilleur pour répondre à leurs problèmes. Et je ne pense pas trop m’avancer en disant que si on était passé au 2e tour, on n’aurait rien changé à cette technique, car c’est celle-ci qui fait baisser le FN, expliquer projet contre projet. Alors, quittez vos écrans et allez en porte à porte, il existe des groupes locaux d’En Marche partout en France ! Si vous pensez que voter Macron est mécanique, alors allez les aider, ça devrait pas être si compliqué d’expliquer votre logique en porte à porte.

Jeudi, je me dis qu’à la réflexion si Le Pen passe, le front républicain véritable se disloquera et qu’il n’y aura que quelques remous mais pas de révolution. L’abstention est trop risquée.

Vendredi — La pluie de la raison

Ce matin en partant au travail, j’ai rencontré une militante d’En Marche! Il pleuvait, elle était seule à tracter à l’entrée du métro, sous sa capuche trempée. Elle s’est pris mes attaques en pleine figure, son candidat marketing, le mépris pour la réaction de Macron dimanche. Elle m’a répondu calmement, admettant les « cafouillages » de son candidat dimanche et lundi, et débattant avec moi, avec une véritable ouverture — et il en fallait ce matin pour me supporter. Elle m’a sincèrement impressionné. En descendant les escaliers du métro, je me suis rappelé l’appel de mon ami Tom, lundi, qui m’expliquait que tout se jouerait aux législatives. Macron ne pourra pas gouverner par ordonnance s’il n’a pas la majorité au parlement. Car c’est le parlement qui autorise le gouvernement à utiliser des ordonnances sur un domaine précis.

Et dans le métro, j’ai lu le tract que m’avait donné la militante. Au-delà d’un simple front républicain, il porte un message d’espoir. La dernière phrase : “Soyons le premier pays à stoper la montée du populisme”…Stoper la montée du populisme raciste, c’est un projet qui me touche. Et je pourrais même aller tracter avec eux samedi, avec un badge « votez insoumis aux législatives ». J’espère que tous ceux qui hurlent au front républicain trouveront trois heures pour militer ce weekend et d’ici vendredi prochain, car c’est ce genre d’échange qui fait la différence, pas un enième post facebook.

Alors, voilà, je vais glisser un bulletin Macron dans l’enveloppe au deuxième tour. Je comprends parfaitement mes amis, notamment ceux qui se sont fait gazer lors des manifs contre la loi Travail qui n’y sont pas encore prêts. Une chose est sûre : face à Le Pen, voter Macron ce n’est pas voter pour son programme (même s’il entretient cet espoir en parlant de vote d’adhésion). D’ailleurs, Piketty explique: «Plus le score de Macron sera fort, plus il sera clair que ce n’est pas son programme que nous accréditons»

Je sais bien qu’il est impossible de conditionner ce vote à quoique ce soit. Je vous demande juste une chose : ce Front Républicain, faisons-le tenir au-delà des élections et ne nous laissons plus jamais aller à cautionner les errements du discours identitaire de la droite et les opportunismes des Valls & Co.

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Clément Pairot

Animateur et formateur de la Fresque du Climat, consultant en bifurcation écologique. Formateur en mobilisation citoyenne.