Les villes sont les acteurs clés de la transformation écologique du monde.

Clément Pairot
4 min readNov 15, 2024

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Ce discours a été donné lors de la journée d’ouverture de la rencontre de l’Associations Internationale des Maires Francophones, en octobre 2024 au Théâtre de la Concorde.

Bonjour,

C’est un honneur de prendre la parole aujourd’hui pour présenter ce plaidoyer devant une audience venue d’autant de régions du monde. Vous êtes là pour réfléchir à l’avenir de nos villes, ces points névralgiques de notre civilisation mondialisée. Et nous en avons bien besoin vu la direction que notre civilisation prend, générant des inégalités sociales et des dégradations écologiques inédites.

Je m’appelle Clément Pairot, au cours de ma vie professionnelle j’ai étudié les pratiques urbaines économes en ressources à Hanoi, Bombay, Nairobi et Paris. Je suis aujourd’hui focalisé sur les sujets de résilience pour améliorer nos vies malgré un climat dégradé et promouvoir une coopération respectueuse entre notre espèce et les autres vivants de cette planète.

J’ai deux nouvelles à vous partager : une mauvaise et une bonne.

La mauvaise nouvelle, c’est que nous ne sommes pas prêts. Aucune ville n’est préparée à ce que les scientifiques annoncent comme conséquences des dégradations écologiques que nous avons engendré.

Exemple : Paris. Paris a fait rêver la planète cet été avec les Jeux Olympiques et Paralympiques. On pourrait croire que tout va bien. Paris est déjà la ville la plus mortelle d’Europe en cas de canicule. Mais en plus, le risque d’été à 50° y est tangible dans les années qui viennent. Or, rien n’est adapté pour de telles températures à commencer par les hôpitaux parisiens.

À partir de 42°, leur systèmes de climatisations flanchent, les opérations s’arrêtent, les patients qui ne peuvent pas attendre meurent.

Le sociologue Eric Klinenberg résume “Les canicules sont des tueuses silencieuses et invisibles, de personnes silencieuses et invisibles.” Invisibles, plus pour longtemps.

De l’autre côté de la Méditerranée, l’Algérie et la Tunisie, suffoquent déjà l’été entre les incendies et les températures frôlant 50° à l’ombre. Rappelons-le, nous vivons les été les plus chauds jamais connus, mais les plus frais du reste de notre vie.

La bonne nouvelle maintenant.

Vous êtes les bonnes personnes pour agir. En matière écologique, les États peuvent négocier, mais les villes doivent agir. Les engagements des États à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre sont guidés par une perspective morale. Problème, même si un pays réduit ses émissions, cela n’a pas d’impact tant que les autres ne font rien. Et cela explique une part de l’inaction.

A l’inverse, même seule, une ville a intérêt à agir car l’action locale d’adaptation a déjà un effet face aux risques climatiques. Ce n’est plus la morale qui guide l’action mais son propre intérêt.

En ville nous agissons non pour “sauver la planète” mais pour nous préserver nous, et, au passage, cela permet d’adopter des pratiques vertueuses pour la planète.

Car, la réponse ne sera jamais exclusivement technique. S’adapter aux canicules en systématisant l’installation de climatiseurs comme à Dubaï empire le problème : cela réchauffe l’air extérieur, la ville devient encore moins vivable, augmente les besoins en énergies, et contribue au réchauffement global par les gaz à effets de serre des climatiseurs. C’est de la maladaptation. Une adaptation mal pensée qui empire le problème tant au niveau global que local.

Au contraire, pour habiter des villes agréables malgré un climat dégradé, nous devons opérer sans délai des changements profonds dans la forme des villes — sur la gestion de l’ombre, du bitume, de l’eau, de la végétation — et dans les pratiques urbaines : réduire au maximum les radiateurs ambulants que sont les véhicules thermiques, favoriser les modes actifs, décider collectivement et démocratiquement quels sont les lieux indispensables à climatiser pour créer des oasis de fraicheurs partagés et vitaux ; et limiter voire empêcher la climatisation des autres bâtiments en période caniculaire. Enfin, changer les rythmes de la ville pour réinvestir les heures fraîches et ralentir substantiellement aux heures chaudes.

Je vous ai menti. J’ai deux bonnes nouvelles. Vous pouvez agir, ET cette action pourrait rendre nos villes plus agréables et justes.

Un exemple : faire chuter, en ville, le nombre de voitures et motos améliore immédiatement la qualité de l’air, réduit les maladies respiratoires, fait chuter la pollution sonore et le stress associé. Cela libère de l’espace pour des activités créatrices de lien social. Cela permet de débitumer et végétaliser prodiguant ombre et précieuse captation d’eau.

Avec un peu d’ironie, l’anthropologue Jason Hickel constate : “Heureuse coïncidence que ce que nous devons faire pour survivre correspond à ce que nous devrions faire pour être heureux”.

Reste que l’action doit se faire sans attendre. Alors nous vous invitons à la coopération entre vous, avec nous, jeunes urbanistes, et avec vos populations pour enfin, ensemble, agir suffisamment vite suffisamment fort. En matière d’écologie, la question n’est pas de faire mieux — tout le monde fait mieux. La question est de faire assez. Pour le moment personne ne fait assez.

Dernier point et non des moindres. Quoique l’on fasse, certains endroits deviendront invivables au cours des décennies à venir. À chaque dixième de degré supplémentaire, 140 millions de nouvelles personnes sont contraintes à la migration. Nos villes et territoires ont deux possibilités : la fermeture pour tenter de se « protéger » de ce flux, mais jusqu’à quand ? Ou la coopération pour d’une part soutenir l’action d’adaptation maximisant le nombre de lieux encore habitables, d’autre part préparer l’accueil digne des migrants inévitables. La migration, qui caractérise l’humanité depuis qu’elle existe, ne doit plus valoir condamnation à mort.

Je vous ai parlé de canicules, dans un instant Marie-Lou va vous parler d’inondations. Nous ne parlons pas frontalement du problème pour le plaisir de faire peur. Nous parlons frontalement du problème car c’est un prérequis pour agir à la hauteur de l’enjeu, enfin.

Je vous laisserai pour conclure sur ces mots de Rob Hopkins :

“Si nous attendons le bon vouloir des gouvernements, il sera trop tard. Si nous agissons en qualité d’individu, ce sera trop peu. Mais si nous agissons en tant que communauté, il se pourrait que ce soit juste assez, juste à temps.” Les villes sont, très probablement, les communautés du 21e siècle. Merci.

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Clément Pairot
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Written by Clément Pairot

Animateur et formateur de la Fresque du Climat, consultant en bifurcation écologique. Formateur en mobilisation citoyenne.

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